Cosimo  Ruggieri  

                      English version

 

           

         Au XVII ème siècle...Passer le curseur pour voir...                                  Aujourd'hui...

 

Colonne Médicis:

Collée à la Bourse de Commerce, dans le quartier des Halles à Paris, il reste une tour, vestige de ce que fût la demeure d'une des plus grandes reines de France, Catherine de Médicis. De l'hôtel particulier qu'elle fit construire sur l'emplacement du couvent des filles repenties, il subsiste une colonne de 32 mètres de haut. Une plate-forme de 4 mètres de coté dont chaque face indique un point cardinal, est coiffée, à son sommet, d'une structure métallique.

Qui construisit cette colonne et à quoi servait-elle ? Les historiens s'interrogent et avancent plusieurs hypothèses. L'architecte Bullant, maître d'œuvre de l'hôtel en 1572, l'aurait également bâtie en 1574, mais rien ne permet de l'affirmer. Dans quel but l'ériger: un hommage au roi Henri II, mari de Catherine mort en 1559 dans un malheureux tournoi; un observatoire astrologique; une tour de guet qui dominait le Paris de l'époque; un passage discret pour aller et venir dans l'hôtel et pour en sortir également en empruntant les souterrains dont les amorces existent encore aujourd'hui? Peut être toutes ces hypothèses à la fois. La seule certitude est qu'un escalier de 147 marches y caracole et que deux portes menaient vers l'hôtel de la reine qu'elle jouxtait dans une cour. Une de ces portes devait conduire à la chambre de Catherine et l'autre probablement vers le laboratoire, lourdement protégé d'une grille en fer, d'un personnage pour le moins mystérieux: Cosimo Ruggieri.

Sorry, your browser doesn't support Java(tm).

                   Portrait  de Ruggieri  au XVII ème siècle 

                                                 (château de Chaumont)                   

 

Cosimo Ruggieri:

Qui était cet homme ? Il apparaît en France en même temps que Catherine de Médicis. En 1533, celle qui va devenir la femme de Henri II, et reine de France en 1547, arrive à la cour de François 1er. Elle amène avec elle, hormis une fortune considérable, une suite de proches du palais florentin des Médicis. Parmi eux, Cosimo Ruggieri qui est le fils d'un médecin, astrologue et devin: Roger l'ancien ( Ruggiero il vecchio). La date de naissance de Cosimo n'est pas connue mais il doit être de la même génération que Catherine, née en 1519. A en croire Balzac, qui va consacrer une partie de ses études philosophiques aux Ruggieri ( la confidence des Ruggieri),  Cosimo, Cosimus ou Cosme aurait un frère, Laurent. Leurs prénoms viendraient du fait que les deux Ducs de Toscane, Laurent et Cosme auraient été leurs parrains. Cela tend à prouver, comme je le crois moi- même, que Catherine et Cosimo étaient intimes déjà enfants. Ils vont traverser une existence, pour le moins tourmentée, ensemble. 

Contrairement à Nostradamus, illustre contemporain et prédicateur de la reine, Cosimo ne laisse que très peu de traces de son histoire. Pas de texte ou très peu : il n'écrira que quelques almanachs sur la fin de sa vie dont l'un d'entre eux, publié en 1603, subsiste à la Bibliothèque Nationale. Des vers en quatrains accompagnent chacun des mois du calendrier. Si Ruggieri est souvent mentionné dans des ouvrages traitant des personnages importants du XVI ème siècle, il n'en existe qu'un seul qui soit directement consacré à lui. Il s'agit d'un livre édité en 1941 dont l'auteur est G. Imann-Gigandet: Cosme Ruggieri, le magicien de Catherine de Médicis. Plusieurs anecdotes y sont décrites sur les pratiques de l'astrologue et sur l'influence qu'il exerçait sur la reine mère. Cet homme va ainsi prédire à Catherine qu'elle va être reine de France et qu'elle aura dix enfants. Cette prédiction est d'autant plus étonnante qu'elle va être annoncée alors qu'elle se marie avec un homme, le futur Henri II, qui n'est pas l'aîné de François 1er, donc pas directement destiné à régner. La mort du dauphin en 1536 va en faire une reine dès 1547. Son mariage fastueux se déroule en 1533 et pourtant elle restera stérile pendant 11 ans, constamment menacée de répudiation. Enfin, la naissance de son premier enfant, François, en 1544 marquera le début de la réalisation de la vision de Ruggieri. Neuf autres enfants vont naître de cette union dont trois régneront, François II, Charles IX, et Henri III; deux de ses filles seront reines: Marguerite, la reine "Margot", femme de Henri IV et Élisabeth, épouse de Philippe II d'Espagne. La durée des règnes de ses fils aurait été montrée à Catherine de Médicis par Cosimo ( certaines versions associent Nostradamus à cet épisode...) dans le Château de Chaumont sur Loire en utilisant des miroirs. L'avenir de ces monarques lui aurait été ainsi révélé jusqu'à la fin des Valois et l'avènement de Henri IV. Ruggieri est également associé à des pratiques de nécromancie. Pour prédire la régence de la reine sous le règne de Charles IX, il aurait fait parler la tête coupée d'un enfant juif enlevé et sacrifié. Si ces dernières histoires semblent bien peu crédibles, il en est une qui est bien troublante et plus digne de foi. En 1564, Catherine de Médicis décide de faire bâtir un palais près du Louvre: les Tuileries dont ne subsistent que les jardins aujourd'hui. L'architecte Philibert de L'orme en dessine les plans et Jean Bullant en est le maître d'œuvre.  Soudain, au début des années 1570, les travaux cessent et la reine, en toute hâte, ordonne la construction de ce qui sera l'hôtel de Soissons. Elle quitte le Louvre et s'y installe. Que s'est il passé ? Certains avancent un manque de financement ou la peur engendrée par un palais situé hors des murs de l'enceinte de Paris. La raison est plus proche de la superstition et de la confiance de Catherine en ce que prédisait Ruggieri. En effet, il lui annonce, à ce moment là, qu'elle mourra "près de St Germain". Les Tuileries et le Louvre dépendant du diocèse de St Germain l'auxerrois, la reine n'a de cesse de les quitter le plus vite possible. Elle s'établit près de l'église St Eustache, dans l'hôtel qu'elle vient de faire élever. Collée à un des bâtiments, à l'intérieur d'une cour va s'y dresser la fameuse colonne. Quant au palais des Tuileries, il ne sera pas complètement achevé de son vivant et elle ne l'habita jamais. Finalement, elle mourut à Blois en 1589 et le prêtre qui vint lui donner l'extrême onction se nommait: Julien de St Germain...

Si on en croit l'histoire officielle, une affaire va brouiller Catherine et son astrologue.  En 1574, une conspiration contre Charles IX et la reine mère va être découverte. Il s'agit, ni plus ni moins, d'une tentative pour leur retirer le pouvoir au profit du duc d'Alençon, le dernier fils de Catherine. Les instigateurs de ce complot, ou plus exactement ses exécutants, sont deux gentilshommes, favoris du duc, La Mole et Coconas.  Ces personnages se sont particulièrement distingués par leur cruauté dans la nuit du 24 Août 1572, la St Barthélemy. Lors de leur arrestation, on va retrouver en leur possession une poupée de cire, sensée représenter Charles IX, piquée de plusieurs aiguilles. Aussitôt, les soupçons vont se porter sur Cosimo Ruggieri qui a coutume d'user de telles pratiques. Il semble d'ailleurs que ce soit lui qui ait introduit, et mit à la mode, cet usage de figurines de cire plantées d'aiguilles pour jeter des sorts. Il va donc être arrêté. Pendant ce temps, Charles IX tombe gravement malade. Il souffre d'une affection de la peau et endure de terribles maux de tête. Naturellement, Catherine attribue ces affres aux sorts lancés par Ruggieri contre le roi. Pour augmenter les soupçons, Cosimo, un temps protégé par l'ambassadeur de Toscane, Vincenzo Alamanni, va s'enfuir de Paris. Arrêté, déguisé en paysan, dans la forêt de St Germain, il demandera à ses poursuivants des nouvelles de la santé du roi et plus particulièrement, il s'intéressera à ses problèmes cutanés et à ses douleurs de tête. L'épisode est rapporté à la reine qui ne cesse de réclamer que Ruggieri défasse les maléfices qu'il a jetés. Celui-ci aurait dit que Charles IX ne mourrait pas si La Mole était épargné. Le 30 avril 1574, ce dernier est décapité avec son complice Coconas en place de Grève. Leur corps sont ensuite écartelés et les morceaux exposés en place publique. Une romance raconte que Marguerite de Valois et la Duchesse de Nevers, respectivement amantes des deux suppliciés, se seraient procurées leurs dépouilles pour les mettre en terre, conservant leurs têtes par amour. Charles IX décède le 30 mai 1574 des suites de sa maladie dans de terribles douleurs. Quant à Ruggieri, il est condamné aux galères. La peine varie suivant les versions: de neuf ans à une condamnation à vie. Ce qui est certain, c'est qu'il ira à Marseille et que son séjour sera plus consacré à prodiguer un enseignement astrologique que de monter sur une galère. Peu de temps après cette aventure, il revient à Paris, appelé et gracié par Catherine de Médicis. Cette clémence est plus que curieuse. Les traîtres et les faux sont impitoyablement punis par cette reine. Or Ruggieri échappe à la règle et ,au contraire, Il va même obtenir les revenus fort appréciables de l'abbaye de St Mahé en Bretagne. Il en deviendra d'ailleurs abbé commendataire en 1585. Était-ce vraiment une trahison de la part de Cosimo ? Personnellement, je ne le crois pas. Il est trop proche de la reine et a une énorme influence sur elle. Pourquoi jouer en sa défaveur ? Je pense plutôt qu'il a eu un rôle d'espion auprès du Duc d'Alençon, dont il était devenu professeur d'italien. Informé du complot, il va en avertir Catherine. Le reste n'est qu'une machination pour compromettre La Mole et Coconas que la reine exécrait depuis leur sauvagerie lors de la St Barthélemy. Le but de cette nuit tragique était de se débarrasser des seigneurs huguenots qui semblaient menacer le roi après l'attentat contre Coligny. La Mole et Coconas furent certainement pour beaucoup dans la dérive et les massacres épouvantables qui s'en suivirent. Cependant, la responsabilité de cette tragédie en revint à la reine mère et au roi. Catherine n'oublia jamais...

Catherine s'éteint en 1589. Bien plus tard, en 1598, Ruggieri va  être l'objet de nouvelles poursuites. Sa réputation de sorcier ne le quitte pas. Une fois encore, ce sont ses fameuses poupées de cire qui en sont la cause. On découvre une de ses figurines lardées d'aiguilles et on l'accuse d'avoir voulu jeter un sort contre le roi Henri IV qui a été sacré quelques années auparavant, en 1594. Un procès a lieu au cours duquel Cosimo se défend en évoquant son rôle lors de la St Barthélemy. Alors, Henri de Navarre, bien que nouvel époux de Marguerite de Valois, n'en était pas moins un seigneur huguenot à abattre. Aux dires de Ruggieri, sa vie fût épargnée grâce à son intervention auprès de la reine mère. Il le défendit et assura à Catherine que le Béarnais ne nuirait jamais aux Valois. C'est ainsi que Ruggieri plaida son innocence en affirmant qu'il n'était pas raisonnable de jeter des sorts et d'en vouloir à une personne qu'on avait tenté, par ailleurs, de préserver. Le roi lui-même intervint et déclara que les poupées ne faisaient peur qu'aux bonnes femmes. Peut-être se souvint-il de ces horribles nuits d'août 1572 où sa vie ne tint qu'à un cheveu que Ruggieri ne planta pas dans la cire. Quoi qu'il en soit, notre astrologue ne fût pas condamné. Il consacra les dernières années de sa vie à rédiger, comme c'était la mode à l'époque, des almanachs dont nous avons déjà parlés et qui eurent un certain succès en son temps. Son prestige resta grand auprès des gens de cour sous Henri IV, et il composa même le thème astral du troisième enfant de ce souverain avec Marie de Médicis, né le 24 avril 1608 à Fontainebleau, Gaston de France, duc d'Anjou, futur duc d'Orléans, surnommé "Monsieur" sous le règne de son frère Louis XIII .

Un être comme celui ci ne peut pas mourir dans l'indifférence. En 1615, Il est à Paris et réside rue du Four (rue de Vauvilliers aujourd'hui). Le sentant proche de la fin, ses gens appellent un prêtre pour lui porter les derniers sacrements. Celui-ci se présente, en compagnie de capucins, prêt à exercer son office. Ruggieri, pourtant très vieux, trouve la force de s'opposer à ses visiteurs. Il déclare alors avec fureur: "sortez tous, fous que vous êtes, il n'y a d'autres diables que les ennemis qui nous tourmentent en ce monde, ni d'autre dieu que les rois et les princes qui peuvent nous procurer honneurs et richesses". Il n'en faut pas plus pour que les gens d'église se retirent épouvantés par un tel incroyant et qu'ils lui refusent une sépulture chrétienne. L'impiété de Cosimo se répand rapidement dans  le Paris bourgade de ce temps. Une fois mort, le 28 mars 1615, sa dépouille sera traînée sur une claie dans les rues avant d'être jetée à la voirie. L'épisode aura des répercutions jusqu'au Parlement de Paris. Il est vrai qu'à ce moment là, sous le règne de Louis XIII enfant et sous la régence de Marie de Médicis, la France est indirectement dirigée par Concini. Ce florentin, qui est le protecteur de Ruggieri, a amené avec lui un médecin juif portugais, Montaldo et quelques coreligionnaires.  Pour calmer la rumeur grandissante que la France est gouvernée par des hérétiques et des sorciers, le parlement va remettre en vigueur (10 mai 1615) un vieil édit d'expulsions des juifs datant de 1394.

Il est surprenant d'imaginer qu'un personnage tel que Ruggieri ait pu mourir de sa belle mort. Il va traverser, et parfois en être acteur, huit guerres de religions plus odieuses et cruelles les unes que les autres. Il va côtoyer des gens, plus ou moins influents, dont certains vont avoir des destins tragiques. Les règnes vont se succéder à une cadence infernale: François 1er, Henri II, François II, Charles IX, Henri III, Henri IV et pour finir, Louis XIII. A cela viennent s'ajouter en parallèle, deux régences, celles de Catherine et de Marie de Médicis. Il n'hésite pas à se heurter aux puissants, et au lieu d'en subir les foudres, il en est craint. Il traverse un siècle dans lequel on assassine, on torture, on fait subir les pires sévices et où le simple fait de vouloir prier différemment le même dieu est un crime de lèse majesté. Lui, il va scruter le ciel, il jette des sorts et pique d'aiguilles des poupées dont l'image d'Épinal a traversé les temps pour nous parvenir comme un des symboles de la sorcellerie. Il affiche, comment pourrait-il en être autrement, son manque de ferveur chrétienne, pour ne pas dire son athéisme. Pourtant, ce n'est que sa dépouille qui sera suppliciée et, ironie de l'histoire, il mourra abbé !

 

Bibliographie:

 

Mercure Francois - Tome 4 - Histoire de notre temps- Paris 1617

Michaud - Biographie Universelle - Paris 1843

Jean Orieux - Catherine de Médicis - Flammarion 1986

Yvan Cloulas - Catherine de Médicis  - Fayard 1979

Michel Simonin - Charles IX - Fayard 1995

Georges Imann-Gigandet - Ruggieri, magicien de Catherine de Médicis - Paris, F. Sorlot 1941

Leon Poliakov - Histoire de l'antisémitisme - Tome I - Paris, Calmann-Levy 1955-1977

Paul Lacroix - Le Moyen-âge et la Renaissance -  Paris 1851

Eugène Defrance - Catherine de Médicis : ses astrologues et ses magiciens envoûteurs, documents inédits sur la diplomatie et les sciences occultes du XVIe siècle... - Paris, Mercure de France 1911

Francis Decrue de Stoutz - Le Parti des politiques au lendemain de la Saint-Barthélemy. La Molle et Coconat - Paris : Plon, Nourrit et Cie, 1892

Prosper Levot - L'abbaye de St Matthieu de Fine-Terre - F. Alégouet 1884

Grillet de Givry - Le Musée des sorciers, mages et alchimistes - Tchou 1966

Prince Jacques de Broglie - La Tragique histoire du château de Chaumont - Paris : au Fil d'Ariane (Sainte-Ruffine, par Moulin-lès-Metz, impr. Maisonneuve), 1963

Louis Pauwels, Guy Breton - Histoires magiques de l'histoire de France - Paris : A. Michel 1977

Voltaire - Essay sur l'histoire générale et sur les moeurs et l'esprit des nations, depuis Charlemagne jusqu'à nous jours - p.370 - Genève : Cramer 1756

Simon Goulart - Thrésor d'histoires admirables et mémorables de notre temps - Genève : P. Marceau 1610

Laurent Bouchel - La justice criminelle en France - 1621

 

Remerciements à celles et ceux ayant apporté une aide à l'élaboration de ce site et plus particulièrement à Anne pour m'avoir accompagné dans mes recherches.

L'évocation de la vie de Cosimo Ruggieri entreprise ici ne se veut pas un document définitif et complet  mais une simple synthèse d'éléments historiques parfois contradictoires et non irréfutables. Toute contribution, précision et correction seront bienvenues si argumentées et justifiées.

Sorry, your browser doesn't support Java(tm).

Mes poèmes:

1 / Barthélemy nouvelle

2 / Peines de reine

3 / Chemin

4 / Question

5 / Foi en toi

6 / Renaissance

7 / Chanson

8 / Beauté

9 / Des rives

10/ Nuit

11/ Heurts

12/ Bonjour

13/ Fin

14/ Un Ange Numérique

15/ Feu

16/ Naufrage

17/ Sourire

18/ Dix vagues

19/ Prédits

20/ Anniversaire

21/ Aurore

22/ Trésor

23/ Déesse

24/ Toujours

25/ Tendresse

26/ Flamme

27/ Poésie

28/ Naissances

29/ Venin

30/ Matière

31/ Envie

32/ Chiffres

33/ Instant

34/ Âme

35/ Regard

36/ Fille

37/ Louvre

38/ Tuileries

39/Palais Royal

40/ Orsay

41/ Paris

42/ Seine

43/ Vent

44/ Projet des Halles

45/ Ventre de Paris

46/ Dames

47/ Cristal

48/ Adieu

                 Un étrange "passage d'enfer"

 

                   
                                                                                    00034275